SHISEI ! SEIKI !

attitude … comportement … en Budo

 

« Lorsque le monde est en paix, un homme de bien garde son épée à son côté »

(Ho Yen Si : Les stratégies de Wu, 11e siècle ap. JC)

« La Connaissance est le début de l’action. L’action est l’accomplissement de la Connaissance »

(Wang Yang Ming, 1472-1529)

« Dans notre école, il faut vaincre, que l’on ait une arme longue ou une arme courte. La longueur d’un sabre ne nous importe donc pas. Volonté de vaincre avec n’importe quelle arme : c’est là la Voie de notre école »

(Miyamoto Musashi, 1584-1645)

  

Lorsque l’on évoque le mot « Budo », quelques images viennent à l’esprit de nombreux pratiquants, alors que sa définition même leur paraît souvent moins évidente. D’abord l’image d’une technique « martiale », venue du Japon, pratiquée dans certains lieux et dans une certaine tenue vestimentaire…Puis aussi, parfois, la perception, mais déjà plus floue pour les plus nombreux, d’une pratique rituelle à connotation spirituelle, philosophique, voire religieuse, dépassant le niveau du simple « sport de combat ». Cela fait déjà, comme on dit, « de quoi boire et manger » pour tous, et assez pour diviser ces pratiquants en les faisant camper sur des positions souvent à la limite du sectarisme (type d’art martial pratiqué, style, école, expert ou groupement suivi, objectifs,…) et des accusations d’iconoclastie par les uns ou les autres. Pourtant, tous les Budo projettent (ou devraient projeter, en tout cas) une image commune très puissante, souvent occultée par ignorance ou par souci de querelles superficielles qui accaparent toute l’attention. Il s’agit de celle d’une pratique censée donner à celui ou à celle qui s’y adonne des traits de caractère venus en droite ligne de l’époque des Samouraï et de leur code d’honneur «Bushido» (*) : ainsi, sens de l’engagement, du devoir (Giri), sens du respect (Chugi), esprit de l’étiquette (Reigi), esprit de détermination (Shiki), droiture (Makoto), générosité (Ansha), courage (Yu), humanité (Ninyo), magnanimité (Doryo), attitude juste (Shisei), ou droite (Gishi), authenticité (Honto),… une longue liste de valeurs, de règles d’existence, et de coexistence, qui pourraient utilement rythmer le quotidien des hommes d’aujourd’hui comme ce fut le cas, dit-on, des meilleurs d’entre eux autrefois. Il s’agit d’un ensemble, que l’on simplifier en ramenant le tout à une « attitude » (Shisei) juste, elle-même à la base d’un « comportement » (Seiki) juste. Ces deux concepts imprègnent le (ou les) Budo, quelle que soit sa forme particulière de pratique. Il s’agit en réalité de son essence, de « l’esprit de la technique ». Cette « colonne vertébrale » (Ryugi : la ligne fondamentale, l’éthique d’un Ryu-ha, la déontologie d’une école) d’une pratique au Dojo comme dans la vie quotidienne, et aussi bien dans les choses courantes que dans des circonstances qui peuvent devenir exceptionnelles, est l’axe autour duquel doit tourner un art « martial » vécu dans sa pleine dimension. Ce Ryugi vient systématiquement en toile de fond des volets mentaux, physiques et techniques qui constituent la pratique « externe » (Karate-do, Ko-budo) de ma propre Voie Tengu (Tengu-no-michi). Et qui peut se résumer dans la formule : SAVOIR ce que l’on VEUT, s’y tenir (… !) puis se donner les moyens de POUVOIR FAIRE… Il s’agit bien là d’une attitude (intérieure), pour un comportement (extérieur)….L’idée contenue dans cette formule mérite d’être correctement comprise. Au Dojo, cela veux dire « donner un sens à sa technique », pour, partout et en toutes circonstances, « assumer le choix de son comportement ».

 

L’ancien, pour le moderne …

Je ne connais des conceptions qui ont régi la société japonaise traditionnelle, au cours d’un long Moyen-Âge qui ne s’est terminé qu’en 1868, que ce que j’ai pu (mais abondamment) lire dans des livres depuis fort longtemps, ou voir dans des films, ou encore comprendre auprès de Japonais contemporains (pas toujours maîtres d’arts martiaux), rencontrés ici ou là-bas. Je n’ai pas été Samouraï dans une vie antérieure (!), et n’ai jamais été atteint non plus par ce syndrome pernicieux évoqué par Malcom Tiki Shewan (**)…Et je n’ai jamais eu envie de réaliser sur moi-même un simple « copier-coller » de ce que fut le statut d’antan d’un autre, ce dernier fut-il hautement estimable. Etant d’une autre culture, je ne veux (et, profondément, ne peux…) emprunter à une autre que ce qui me paraît intéressant et assimilable dans la mienne. Parce qu’il n’a jamais été question pour moi de renier cette culture, dans laquelle je suis né et vais mourir. Décalquer serait évidemment une erreur…une perte d’identité. Car la Voie du Budo, c’est bien trouver et vivre sa propre identité… ? C’est bien le sens de la progression « Shu-Ha-Li » (*)? Nous sommes bien là dans la trace même de la Tradition, non ? L’enfant doit apprendre pour devenir adulte et transmettre ce qui aidera un autre enfant à devenir adulte à son tour. La Tradition ne dit rien d’autre. Pourtant c’est de cette même Tradition que l’on se réclame si souvent pour justifier la stagnation dans des formes de pratique trop souvent confuses, partielles, ou franchement obsolètes, et qui se révèlent souvent des impasses lorsque l’on veut y trouver, vraiment, une « Voie de l’Homme ». Après 49 ans de pratique et de passion, pour le Karate-do en particulier, j’essaie encore de démêler les fils soigneusement noués par l’érosion de l’Histoire, par l’ignorance, par la bêtise ou, pire, par la roublardise des hommes qui tentent, apparemment avec succès, de tirer profit du brouillard dans lequel se perd désormais le monde dit Budo.

Ceci pour dire que si certains concepts, valeurs, repères dont nous avons tous besoin, peuvent être davantage présents dans ce qui reste du Budo traditionnel (encore que, concernant le Budo dans le Japon contemporain, j’ai plus qu’un doute… : vous a-t-on parlé des « changements » rapides dans la jeune société japonais, et d’un certain vent de panique soufflant sur tout le tissu social du pays du « Soleil Levant »?), il est également juste de penser qu’elles peuvent se retrouver aussi dans les expressions contemporaines de ces anciennes pratiques martiales. A condition toutefois de songer à les adapter à un contexte social qui est, ici, aujourd’hui, forcément différent de ce qu’il a été là-bas il y a des siècles. En fait, à condition d’avoir le courage de faire comme fit autrefois le Japon : prendre de l’étranger (il s’agissait de la technologie occidentale, à l’ère Meiji) tout en gardant son âme propre. Il y a aura donc aussi dans l’idée que je me fais de l’attitude qu’il convient d’avoir, dans une pratique martiale contemporaine comme dans la vie quotidienne, plus que des réminiscences de valeurs propres à notre Tradition occidentale. Je n’ai retenu dans cette synthèse que ce que je pense essentiel à défendre et à transmettre d’ici et de là-bas. Cette disposition d’esprit, et cette volonté, ont du coup fait évoluer ma pratique depuis longtemps, en lui donnant un nouveau contour.

 

Bu-iku : une éducation martiale, pour une ligne de conduite et un principe d’action dans le « monde réel »

Il y a dans les techniques martiales dont nous avons héritées, une direction d’action qui a bien failli basculer dans l’oubli à peu près dès le moment où le Japon entra furieusement dans la modernité, fin du XIXe et début du XXe siècle. Celle d’une gestuelle martiale utile à la fois sur le champ de bataille et comme support d’une véritable éducation. Autrefois en effet, l’éducation martiale (Bu-iku) du jeune guerrier japonais était orientée vers l’acquisition d’un comportement conforme au cadre d’une société féodale vivant une époque troublée. Or, avec l’apparition à la fin du XIXè siècle d’un état moderne (avec, notamment, une armée équipée à l’occidentale) et d’une société qui se voulait plus égalitaire, le Japon pouvait certes se passer de l’ancienne technique guerrière mais toujours pas des valeurs humaines qui en avaient fait la force. C’est qu’il avait à nouveau besoin de supports éducatifs à destination d’une nouvelle jeunesse, ferment d’une nouvelle société libérée des nécessités dues aux guerres civiles incessantes mais désormais confrontée aux réalités du monde. L’ancienne gestuelle martiale pouvait encore jouer ce rôle, même détachée d’un contexte dépassé… L’idée fut notamment chère aux pionniers que furent au début du XXème siècle Kano Jigoro (Judo), Itosu Ankoh, Funakoshi Gichin, Mabuni Kenwa, Miyagi Chojun (Karatedo), parmi les plus connus, dont tant de pratiquants se recommandent aujourd’hui en faisant allègrement fi de ce que ces maîtres voulaient réellement transmettre au cours d’une vie consacrée à leur engagement…Pour ces pères du Judo et du Karaté actuels, le fil conducteur de toute pratique devait en effet être une volonté éducative : ceux et celles auxquels cette démarche était proposée devaient mûrir comme des hommes et des femmes utiles à leur société, respectant, à travers le meilleur transmis du passé, un véritable code moral permettant à tous de vivre suivant des règles utiles à la collectivité, et dans le respect mutuel de leurs différences. En fait, le prolongement d’un code moral déjà ancien, adapté à une société nouvelle. Le Budo ne peut garder sa valeur éducative, sa vraie raison d’être par rapport au Bu-jutsu (et sa justification dans ce nouveau siècle) que s’il véhicule la force d’une Tradition vivante : c’est ainsi qu’il faudrait comprendre, vivre et expliquer nos arts martiaux dans nos Dojo. Pour que revienne la notion de « repère », dont nous avons tous besoins, pour affronter le monde « réel ». Il ne faut pas avoir peur de l’élaboration d’un « nouveau Budo » (Shin-Budo), réactualisé, dont aurait besoin notre siècle. Car la voie proposée par une pratique Budo, n’est aussi, et finalement surtout, rien d’autre qu’une « Voie de l’Homme ». C’est bien ce cheminement que l’on est censé rechercher dans un « Dojo », ce « lieu où souffle l’esprit »… ? Or ce souci ne fut l’apanage ni d’une seule époque ni d’une seule aire géographique. Il est bien toujours au cœur d’une interrogation fondamentale des sociétés contemporaines.

J’ai toujours pensé que "les" hommes sont bien moins intéressants, dans leurs comportements qui ne peuvent durer que le temps d’une vie (ce qui est parfois fort heureux !), que "l’Homme" dans ce qu’il a de pouvoir évolutif à l’échelle de l’univers. Et donc que tout ce qui pouvait lui permettre de se libérer de son animalité pour se "civiliser" toujours davantage méritait l’investissement de réels efforts, à quantité de niveaux. C’est sous cet angle que j’ai toujours été intimement convaincu que la connaissance de plus en plus large des arts martiaux, avec tout ce que leur pratique peut générer au niveau prise de conscience et changements de comportement durables (donc l’impact qu’elle pouvait avoir sur la société à travers celui ou celle qui s’en prétend adepte), était l’un des outils qui pouvait l’aider à aller dans ce sens. Je persiste toujours à croire, si longtemps après le début de ma pratique, et malgré tant de déceptions (toujours dues aux hommes, non à ce qu’ils prétendaient incarner), que l’art martial ne mérite d’intérêt, demain encore, qu’en tant que fantastique levier éducatif. Encore faut-il savoir par quel bout prendre ce levier, sur quel point d’appui le caler, et investir un gros effort…Encore faut-il, donc, VOULOIR s’en servir pour, réellement, pouvoir le FAIRE. J’ai eu souvent l’occasion de m’expliquer sur la manière dont peut fonctionner ce processus d’éducation du pratiquant d’abord puis, à travers lui et l’exemple qu’il donne, de ceux qui le voient vivre. L’importance, et l’urgence, du "vouloir éduquer", sont plus que jamais d’actualité. Cela est possible par le biais « martial », ce domaine qui nous a fait nous retrouver sur la même route. Il n’est bien évidemment pas le seul.

 

Refuser de se battre, mais aussi refuser de subir…

Qu’il soit dit encore une fois clairement que ma réflexion s’inscrit parfaitement dans une démarche Budo : « refuser de se battre, refuser de subir » est la base de ce que je crois et enseigne. Et qui n’est rien d’autre que ma ligne de conduite personnelle depuis qu’enfant j’ai essayé de comprendre ce que voulais me dire mon père… Cela est devenu tout naturellement le fondement d’un comportement et d’une pratique que je propose dans le cadre de la « Voie Tengu ». Rien d’autre (mais cela, je ne le sais que depuis peu) que ces mots de Miyagi Chojun créateur du Goju-ryu Karatedo et rappelés par Mabuni Kenei (***) : « Hito-o utazu, Hito-ni utarezu, Koto-naki-koto-o moto-to suru-nari » (« Sans être battu par personne, ni vouloir battre personne, voici l’attitude évitant tout incident, qui se veut le mode de tout comportement »). Cette disposition mentale est bien au centre de ma « Voie Tengu » (qui sort résolument du contexte sportif et ludique, dans lequel je n’ai d’ailleurs jamais voulu évoluer, depuis mes tous premiers pas sur un Tatami). Tout le reste en découle. Ceci posé, compris, accepté, voulu, il faut apprendre, se donner les moyens de vivre cette « attitude juste » (Shisei). Vient alors une autre étape, semée d’embûches, impossible à réaliser si l’on préfère le doux rêve aux nécessités de l’action. C’est que, pour avoir des chances de gagner dans un vrai combat (c'est-à-dire dans une confrontation dont l’enjeu « vaut, dramatiquement, la peine »), il faut bien plus qu’une bonne technique, ou une « énième » variante d’un mouvement réputée plus efficace. Même si on croit en avoir fait la preuve dans le cadre d’un Dojo, sur un ring, ou à l’occasion d’autres « rencontres » entourées du même cadre conventionnel. Car il ne s’agit plus ici de compétition, de jeu sportif (même violent), ou de gesticulation esthétique, suivis d’une quittance donnée par un arbitre, un jury, ou un public. Ou encore d’un sujet de conversation de salon. Il s’agit d’entrer dans les arcanes du « monde réel »…ce pour quoi l’art martial a, finalement, été pensé. Dans ce cas, définir une « attitude », c’est aussi être prêt à (et avoir les moyens de) suivre avec une « philosophie de l’action »…Il faut commencer par définir, une fois pour toutes, le prix que l’on est prêt à payer pour ne pas accepter la violence d’autrui en menant une action que l’on a jugé nécessaire de mener, pour survivre, ou aider à survivre, dans le cadre de la protection de soi-même ou d’autrui (« assistance à personne en danger »). Car cela a bien un prix. Dont la part « entraînement physique», même avec beaucoup de sueur, est la moindre. Même avec des techniques de combat réactualisées. Bien au-delà en effet, un Budoka doit cocher dans sa tête des options claires, assumées, prédéfinies : comme la « mémoire musculaire » le fera pour la gestion physique du contact avec l’adversaire, l’option mentale assumée fera que l’attitude « juste » sera en place le moment venu, lorsqu’il ne sera bien entendu plus temps de se poser des questions et d’avoir des états d’âme. Le pire ennemi (la Tradition ne répète-elle pas que l’ennemi à vaincre est à l’intérieur de soi ?) serait alors d’hésiter au moment crucial, ou au contraire de se lancer aveuglément…Il ne faut jamais oublier que c’est l’agresseur qui décide : du moment, du lieu, des moyens…Il partira donc toujours avant votre défense…. L’attitude, c’est d’abord être prêt. Déterminé. Résolu. Pour « refuser de subir » lorsqu’on se voit, finalement, obligé de se battre.

Etre « prêt » dans sa tête va au-delà de la sensation, faussement confortable, de pouvoir faire face « au cas où »… L’attitude mentale doit être plus « en avant ». Elle nécessite l’acceptation préalable de l’enjeu (vital) de la confrontation et celle de l’éventualité de ses propres blessures. Qui est prêt, à l’état « de repos », à envisager d’être brutalement submergé par une violence aussi extrême? Il convient donc de s’y préparer. La base de votre action est l’attitude mentale. Et celle-ci se construit largement par temps calme : posez de bonnes tuiles sur votre toit avant la tempête, c’est plus sûr …Ce que Sun Tzu dit, en mieux : « Celui qui est prudent et attend un ennemi qui ne l’est pas sera victorieux » (L’art de la guerre, chapitre 3). C’est cela, être prêt. Une volonté implacable et un vrai moyen d’action (efficace) en réponse à une agression injustifiée… Ce que l’on peut appeler défense réactive immédiate et parfaitement ciblée. Ce que j’appelle, en Karaté, apprendre à pouvoir se servir en toute connaissance et en toute responsabilité d’une « main vide au tranchant guerrier ». En espérant de toutes ses forces que cet apprentissage ne serve jamais.

 

Dans la droite ligne d’une Tradition

Toute « réponse » Tengu est toujours une action conçue dans une optique de défense obligée (contre-mesure engagée en réaction à une agression reconnue et incontournable). Le seul but des « Techniques Intégrées de Défense Personnelle » (TIDP), de « l’Institut Tengu », à main nue ou avec arme additionnelle (Kobudo), est donc de neutraliser une attaque à coup sûr sans en arriver à une extrémité inutile, disproportionnée et condamnable. De rester toujours dans « le nécessaire et le suffisant ». Ce qui est un objectif parfaitement légitime (survie), humainement honorable (respect de la vie), juridiquement défendable (respect de la loi), socialement acceptable (nécessité du contrôle de la violence). Il convient de s’en faire une conviction intime afin d’être vraiment prêt à agir instantanément dans l’espace de liberté techniquement et mentalement défini et assumé. Ce choix éthique doit être clairement fait par chacun, bien avant que le problème ne risque un jour de se poser, quitte à faire des révisions périodiques de sa position. L’essentiel restant d’être « prêt », « avant », au cas où… Le registre d’action procède davantage d’un mental Sen-no-sen que d’un Go-no-sen… Le niveau ultime étant bien entendu de désamorcer une situation de crise sans avoir à faire usage de ses capacités techniques en riposte… « Refuser de se battre » : le cœur de l’enseignement de tous les arts martiaux…authentiques. C’est le « Muto-dori » de la Voie du sabre, « sans le sabre » (Voir « Dragon » N° 11). «Refuser de se battre, refuser de subir » résume la ligne d’enseignement et de pratique de « Tengu-no-michi ». Un contour d’action (ou de non-action) qu’il convient de poser initialement pour délimiter les formes de travail proposées dans le cadre d’une pratique martiale, que ce soit à main nue (Kara-ho), par exemple Karaté, Ju-jitsu, ou avec armes additionnelles (Buki-ho), par exemple des armes de Kobudo. On retrouve dans ce type d’entraînement l’authenticité même de la démarche Budo, faite d’honnêteté, de véracité, d’acuité, de volonté, de sens de la responsabilité dans ce que l’on fait, et, pour ceux qui enseignent, dans ce que l’on va transmettre. De modestie aussi, en considération de l’enjeu. Voici pour le « pourquoi » de cette démarche retrouvée dans la manière de travailler « Tengu », tout à fait dans l’esprit de la Tradition martiale. Quant à la manière de la décliner, pratiquement, elle est infiniment riche et passionnante. Il s’agit d’une « Budo attitude », comme on pourrait l’appeler aujourd’hui pour rester dans l’air du temps, faite d’une attitude (Shisei) et d’une manière de se comporter (Seiki). A quoi on peut ajouter un esprit déterminé (Shiki). Tout le reste vient « en plus », solide seulement si l’ancrage sur ces trois points est bien établi.

Sommes nous si loin de ce que l’on appelle les vertus du Samouraï et de l’éducation martiale d’antan, auxquelles on se réfère si souvent sans en comprendre la portée qu’elles pourraient avoir dans le monde d’aujourd’hui ? Si loin des traits de caractère que l’on aimerait voir chez plus d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, dans une société ébranlée qui recherche en tâtonnant, désespérément, des recettes pour mieux vivre ? Loin, par contre, du seul souci d’acquisition (superficielle et périssable) d’un simple bagage technique (en plus, si souvent obsolète à y regarder de près). Progression et niveaux sont aujourd’hui mesurés à l’aune de critères extérieurs, repères stupides mis en avant pour satisfaire le clinquant et l’éphémère. Le Karate-do est fait pour pouvoir se pratiquer par tous, toute une vie, tel fut le message de, notamment, Sensei Gichin Funakoshi. Un certain Karaté d’aujourd’hui, dont on veut nous imposer l’image déformée et les contraintes, ruine en fait cette perspective mobilisatrice. Mais comme ce Karaté là, qui a l’oreille des medias, s’inscrit parfaitement dans la ligne d’autres « sports » valorisant pour l’ego (puisque c’est alors de cela qu’il s’agit), il rejoint dans l’esprit de la majorité des jeunes ces activités « dynamiques », dont on change après quelques années, que l’on quitte sans y avoir rien compris. Après quoi le corps, et parfois l’esprit, en restent pour le moins « perturbés ». Ceci est plus qu’une dérive de l’option proposée initialement par les pionniers du Budo. C’est une imposture, tout simplement.

Je sais, aujourd’hui, pour avoir eu des réactions positives, et à vrai dire inattendues, souvent de la part de hauts gradés de diverses disciplines, que ce que je dis, et ai toujours dis, rejoint leur propre réflexion ou, pour certains, prise de conscience tardive (et regrets tout aussi inutiles). Toujours est-il, c’est tout à fait certain, que la « Budo-attitude » n’est de loin plus ce qu’elle était, ni ici ni même là-bas. Et que personne ne peut plus guère y changer grand chose, à grande échelle du moins, au niveau où cela se voit le plus. Ce qui est plus que dommage. Car le sérieux, la crédibilité, et l’utilité de ce que nous faisons dans les Dojo en ont pris un sacré coup… Du moins lorsque nous prétendons marcher dans les traces d’une longue Tradition venue d’une époque où les tenants de "l’art" martial ne pouvaient même pas imaginer ce qu’il en resterait une fois adapté en "sport d’origine martiale", pour le plus grand profit des marchands du temple…Mais faut-il vraiment s’étonner d’un tel appauvrissement? C’est que ces gens là ont très vite compris que la quintessence de l’art martial authentique est invendable. Parce qu’elle n’a, elle, vraiment pas de prix.

 

« Contrairement au sport, l’idée même de se mettre volontairement dans une attitude offensive n’existe pas dans l’art martial. Attaquer de son propre gré est une idée qui relève du sport et non de l’art martial. Celui-ci est avant tout une technique d’auto-défense, et il est inconcevable de faire une compétition avec des techniques d’auto-défense »

Mabuni Kenei (Shitoryu-Karatedo)

 

(*) Code d’honneur du guerrier japonais. Voir les précisions historiques, culturelles ou techniques dans « L’Encyclopédie des Arts Martiaux de l’Extrême-Orient » de Gabrielle et Roland Habersetzer, Editions Amphora, 3ème édition 2004.

(**) Il évoque dans son ouvrage « Iaido », ce « syndrome du petit Samuraï » (imitation extérieure), résultat d’une pratique superficielle à travers une gestuelle vide de sens.

(***) Il faut absolument lire l’excellent ouvrage de Maître Mabuni Kenei, Soke du Shito-ryu Karatedo : « La voie de la main nue. Initiation et Karate-do », Edition Dervy 2004.

 

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24/04/2006